Entretien avec David Paquet

« Le Soulier, c’est l’histoire de gens qui s’aident à ne pas perdre pied »

Du 27 février au 9 mars prochain, le Théâtre la Seizième présentera sa nouvelle production, Le Soulier, une création artistique issue de son programme de développement dramaturgique. Écrite par le récipiendaire de nombreux prix  David Paquet et mise en scène par Esther Duquette et Gilles Poulin-Denis, Le Soulier est un spectacle qui nous plonge au cœur d’un univers baroque, im­prégné de réalisme mag­ique. Nous avons rencontré son auteur, David Paquet.

David Paquet, vous êtes aujourd’hui un auteur reconnu, célèbre dans toute la francophonie. Vos pièces sont jouées en Europe, en Amérique du Nord, vos textes sont régulièrement publiés, vous recevez de nombreux prix. Racontez-nous votre parcours…

J’habite Montréal depuis un peu plus de 20 ans. Avant cela, j’étais à l’Ange-Gardien, un village rural que j’ai quitté pour poursuivre mes études à Montréal. J’ai suivi des cours en scénarisation cinématographique, en littérature, en sexologie. J’ai fait de l’animation, d’abord avec de jeunes enfants, puis avec des personnes en fin de vie. C’était ma manière d’explorer les différentes réalités de l’être humain, pour qui j’ai toujours eu une grande curiosité. En 2003, je suis entré à l’Ecole nationale de théâtre, en écriture dramatique. Et depuis 2007, j’écris du théâtre à temps plein.

D’où vous vient cette passion pour les mots ?

J’ai choisi de taire beaucoup de choses, durant mon enfance et mon adolescence. Je pense que ces choses, que je pensais inavouables, ont finalement trouvé un chemin de sortie à travers l’écriture. À défaut de pouvoir parler aux autres, il y avait ce refuge, cette soupape qu’était l’écriture. Aussi, quand j’étais plus jeune, ma vie était régie par l’école, par mes parents, par différentes contraintes. Quand j’écrivais, j’arrivais dans un monde où non seulement tout était possible, mais où j’étais seul souverain. J’étais libre, et je pouvais décider de tout. Enfin, je pense que j’écris parce que je suis insatisfait du réel. Je ne dis pas qu’écrire du théâtre change le monde, mais le refuge littéraire de la fiction peut nous aider à voir le monde autrement.

Parlez-nous de la naissance du Soulier

Le Soulier, c’est l’histoire d’une rencontre, celle que j’ai faite il y a bientôt sept ans avec le Théâtre la Seizième, lors de la création de Porc-Epic. Au fil des années et des projets, nous avons noué des liens de plus en plus étroits, et lorsque la Seizième m’a demandé d’écrire cette pièce en 2016, j’ai été très heureux. En tant qu’artiste montréalais, c’est parfois facile d’oublier la francophonie hors Québec. Or, il y a des gens talentueux, créatifs, passionnés, qui essayent de créer le plus possible en français partout au Canada. Cette collaboration, c’est quelque part ma façon d’honorer ça, de sortir de Montréal et de créer des liens forts avec toute la communauté artistique francophone.

Comment l’idée de cette pièce vous est-elle venue ?

Les pièces que j’écris naissent souvent d’images fortes qui traversent mon imaginaire, et que je choisis d’accueillir telles quelles. Je me laisse guider par mon ressenti. Pour Le Soulier, l’image initiale, c’était un dentiste qui sort un marteau de la bouche d’un enfant. J’ai commencé à construire autour de cette image très forte, symboliquement, et peu à peu d’autres personnages ont pris forme. J’ai rapidement compris que ce texte allait aborder le thème de la détresse psychologique, mais aussi, et peut-être surtout, qu’il allait me permettre de rendre hommage à tous ces gens qui aident ces personnes plus fragiles, qui ralentissent le pas pour accompagner celles et ceux pour qui les choses simples ne le sont pas.

Si vous deviez résumer Le Soulier en une phrase ?

Le Soulier, c’est l’histoire de gens qui s’aident à ne pas perdre pied. C’est un système de relations d’entraide, des gens qui au contact les uns des autres, malgré leurs maladresses et leurs névroses, réussissent à s’élever. Ou du moins qui s’empêchent de sombrer.

Le Soulier est un drame sur les enjeux de la santé mentale. Mais c’est également une pièce très drôle, non ?

Je l’appelle une comédie bipolaire. Elle parle de choses graves avec humour. Comme le disait André Brassard, je pense que l’humour est un lubrifiant : il permet à ce qui est difficile d’entrer dans la conscience. Ici, l’on voit des gens qui souffrent, mais avec un certain détachement. Pour moi, c’est du funambulisme émotif. J’essaye de dresser une fine ligne où tout est à la fois drôle et dur, dur et drôle. C’est une comédie, vraiment, mais où parfois on ne sait pas si on doit rire ou pleurer. Il y a des moments très sérieux, d’autres pas du tout, il y a constamment des bascules.  Ça rend la pièce très imprévisible.

Avez-vous un message pour le public ?

Ce n’est pas un message, c’est un massage auquel je convie le public. J’aime faire des parallèles entre les concepteurs de manèges et les auteurs de théâtre. Tous deux conçoivent des parcours émotionnels pour des étrangers, qu’ils invitent à venir s’assoir. Au théâtre, le voyage est intérieur. Et moi, le massage auquel j’invite les gens, c’est de s’assoir et de se laisser bercer par ce parcours complètement improbable, et à la fin de voir ce qu’ils en retiennent.

Je pense qu’il y a des cas de souffrance psychologique où l’amour n’est pas assez fort pour guérir les autres. Dès que l’on aime quelqu’un, on aimerait croire que notre amour est suffisant pour le préserver de toute forme de mal-être. Or, il n’en est rien. Mais si notre présence ne peut pas tout régler, elle peut assurément alléger l’autre. Dans cette pièce, j’essaye de montrer des gens qui s’entraident. J’essaye de rendre hommage à toutes ces personnes qui aident au quotidien.

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